LES SAVANTS FACE A L'OCCULTE : 1870-1940
Colloque à la Cité des Sciences et de l'Industrie, juin 99




Précisons tout d'abord que cette journée et demie était organisée par le "Centre de Recherche en histoire des sciences et des techniques", basé à la Villette, en collaboration avec le CNRS (leur logo est présent sur le fascicule de présentation).
Le tout fut mis en place par Bernadette Bensaude-Vincent, Centre d'histoire et de philosophie des sciences, université Paris X-Nanterre, et Christine Blondel, du Centre de Recherche en histoire des sciences et des techniques.

Leur approche est donc historique et epistémologique. Le but de ce colloque n'était pas de défendre ou descendre la métapsychique, mais de comprendre comment s'organise et se créée la science à l'époque, acceptant certains phénomènes d'étude (rayons X par exemple) et finissant par en rejeter d'autres (métapsychique).
Environ une cinquantaine de personnes présentes dans la salle de conférence, qui avait une capacité d'environ 100 places.

 

9h45, Fr. Parot

Les idées scientifiques d'Alan Kardec

Cette chercheuse a montré en quoi Kardec s'inscrivait dans une mouvance républicaine, progressiste, de gauche. Il a fondé une "religion scientifique", positiviste presque, et ne se considérait pas du tout comme un ésotériste. D'ailleurs il n'a pas lu les classiques de ce type de
littérature. Aucune volonté chez lui de "cacher", de vénérer les connaissances données par les esprits comme des secrets merveilleux, bien au contraire il fallait évangéliser, et expliquer "scientifiquement" la présence des esprits.

 

10h15, B. Méheust

Alexis Didier, le prince des somnanbules magnétiques

Alexis Didier fut le plus grand somnambule du XIXème, et si l'on pose que ses performances étaient dues à des complicités chez ses expérimentateurs, on atteint quelques centaines de comparses en France et dans la haute société aristocratique anglaise. L'hypothèse en devient encore plus coûteuse pour l'esprit que celle de la réalité de ses dons... Méheust prévoit de publier, tels quels, tous les textes d'époque qu'il a retrouvés sur Didier (environ 400 pages !).
 

11h30, J. Carroy

Somnambulisme et affaire Dreyfus

Alors là, rien moins qu'étonnant : le rôle de certains médiums spirites dans l'affaire Dreyfus. Dans quel camp ils étaient : celui des dreyfusards ! (contrairement à ce qu'insinue Zola dans son fameux "J'accuse"). L'auteur montre surtout que l'avis des voyants de l'époque a eu une grande importance aux yeux des principaux Dreyfusards. Le propre frère de Dreyfus y fut très sensible. Mais on a préféré occulter cet aspect de l'affaire, qui ne cadrait pas vraiment avec l'image d'Epinal de l'affaire Dreyfus : la gauche progressiste et positiviste contre l'obscurantisme des réactionnaires de droite...
 

14h00, N. Edelman

Spirites et neurologues face à l'hypnose : une impossible rencontre (1870-1890)

Un parallèle entre les démonstrations publiques des spirites pour faire de nouveaux convertis, et celles de Charcot à la Salpêtrière pour montrer que l'hypnose est un état morbide des histériques. Pour Charcot, on reçut ces "spectacles" comme de la science alors qu'on prit les démonstrations des spirites pour du simple spectacle parce qu'ils ne souscrivaient pas aux régles d'alors pour en faire de la science, notamment : chez les spirites, les dames avaient autant le droit que les messieurs de venir observer les phénomènes puis d'en discuter, à une époque où médecins et savants faisaient en sorte d'exclure la gente féminine du terrain scientifique : on savait bien qu'elles n'étaient pas faites pour la recherche et pour la réflexion... !
 

14h30, N. Marnin

La caution d'un Nobel : Charles Richet et l'IMI

Intervention fort critiquée, surtout par Méheust et Lagrange, pour sa "soi-disante neutralité universitaire qui cache mal un pamphlet pour assassiner l'IMI et Richet" (dixit Méheust).  Lagrange intervint pour suggérer que cette intervention était... "complétement vide" ! En deux mots : le gars (très jeune, je ne lui donne pas 30 ans) a montré que Richet était l'argument d'autorité de l'IMI, qui permettait de "vendre" les recherches psychiques. En plus, le mécène de l'IMI, Meyer,  croyait aux esprits, donc l'argent qu'il a fourni à l'Institut y croyait aussi...
Il est intéressant de noter que c'est cet intervenant "sceptique" qui fut mis à mal et critiqué par les autres... Les temps changent ?

 

15h15, P. Le Maléfan

Richet chasseur de fantômes (villa Carmen)

Alors là, j'ai pas pigé : Richet a cru aux fantomes à la villa Carmen, donc on peut se demander, sachant qu'il ne faut pas être sain d'esprit pour essayer d'objectiver les fantomes, si Richet était vraiment intelligent, et où commençait la mythomanie chez lui... Réactions de Méheust et Lagrange encore, et quelques autres. Visiblement l'auteur ne connaissait pas les recherches de Warcollier là-dessus...
 

15h45, Ch. Blondel

Les instruments scientifiques face à la médiumnité d'Eusapia Palladino

Hyper intéressant : l'auteur passe en revue quelques une des plus célèbres séances avec Palladino, avec la conclusion qu'elle trichait parfois, mais qu'il restait un noyau d'observations qu'on n'a jamais pu expliquer par le trucage. A l'époque toutes ces expés avaient pour conclusion qu'il fallait continuer, recommencer encore, ce qui ne fut pas fait... Christine Blondel a avoué son "admiration pour Eusapia, la diva des savants à l'époque", dont elle est quasi-certaine qu'elle fut le siège de phénomènes inexpliqués.

Discussion en fin de journée, où quelques uns (dont moi) ont insisté sur le fait que la parapsy existe aussi aujourd'hui et n'est pas simplement un objet d'études historiques. Etonnement de Le Maléfan : "mais ces recherches actuelles dont vous parlez n'ont rien à voir avec celles des métapsychistes !?" Comme quoi, y'a encore du boulot !
 

Vendredi

 

9h30, M. Peirsens

Récits et raisons, la littérature spirite

Pour ce conférencier, "le problème de la métapsychique, c'est la littérature". Si j'ai bien compris son propos, assez difficile à suivre parfois, il expliquait que si la métapsychique n'avait pu devenir une science à part entière, c'était parce qu'une partie de la littérature française abordait les phénomènes étudiés, ce qui les faisait entrer dans un corpus d'imaginaire et non de science. Et de citer quelques nouvelles de Balzac et autres, pour finir sur Proust qui est le dernier à intégrer une composante "métapsychique" dans son oeuvre.
Mais j'avoue que je n'ai pas compris en quoi le traitement littéraire du sujet aurait empêché la science de s'en emparer... Est-ce que Jules Verne ou la SF américaine des années 30-40 ont empêché l'homme d'aller sur la Lune ?

 

10h00, D. Lapoujade

La parapsy au service de l'inconscient collectif

Intervention très intéressante, où l'auteur a analysé l'importance de la métapsychique dans les oeuvres de William James et de Henri Bergson dans leur conception de la conscience et de la mémoire. Lapoujade a clairement expliqué au début qu'il ne servait à rien de partir du postulat qu'il s'agissait de crédulité ou de naïveté de leur part, ce qui n'apportait rien au débat.
 

10h45, B. Bensaude-Vincent

Des rayons contre raison (radiesthésie)

Cette dernière intervention fut sans doute la plus informative parce qu'elle se basait sur un gros corpus : l'auteur a consulté toute la littérature sur la radiésthésie qu'elle a pu retrouver, afin d'analyser les polémiques entre "pro" et "anti" de l'époque. Elle s'est surtout concentrée sur la radicalisation du débat à partir de 1930 qui voit la création de l'Union Rationaliste. Sans être tendre avec les expériences menées par les radiésthésistes eux-mêmes ("accablantes") elle démonte point par point l'argumentaire des rationalistes de l'époque. Notamment selon ces derniers, les radiésthésistes ont une approche totalement irrationnelle : non, en fait ils pêchaient même par excès de rationalité si l'on lit leur prose.
Dans la population radiésthésiste de l'époque, on trouve surtout des militaires, des médecins, des ecclésiastiques et des ingénieurs, ces derniers apportant une certaine techniticité aux vérifications expérimentales.

Vers 1910, une revue catholique lance un grand concours auprès des radiésthésistes, les volontaires doivent retrouver dans une maison un élément caché par l'initiateur de l'expérience, un catho anti-radiésthésie. Aussi bien radiésthésistes professionnels que simples curieux peuvent participer... En tout 80 personnes participent à l'expérience, dont les résultats seront catastrophiques pour les "pro" : leurs performances sont exactement celles du hasard... A partir de là se créée une Association Scientifique de la Radiésthésie qui sera encore plus

critique envers les pratiquants du dimanche que les adversaires de la radiésthésie eux-mêmes. Le débat s'embourbe dans les polémiques pro-anti, et on le retrouve périodiquement tout au long du XXème siècle (cf. Yves Rocard dans les années 60).

 

11h15, I. Stengers

Répondants et discussion

Stengers s'est décommandée au dernier moment, à sa place Paul Caro, chimiste du CNRS, est venu faire un petit laïus sur le rôle des drogues dans les hallucinations et le développement de croyances irrationnelles, en soulignant qu'à l'époque l'usage de drogues devait être plus répandu qu'aujourd'hui... En plus, le cerveau peut lui-même produire certaines drogues afin de s'autosuggestionner...
Bon, on aura vite compris l'attitude franchement sceptique (et l'ignorancedu sujet) dont faisait preuve ce vieux monsieur un peu paumé.

Suite à son intervention un débat s'engage, on relativise franchement ce qu'il vient de dire tout en restant poli, certains réaffirment qu'étudier une période historique c'est bien mais que la métapsychique n'est pas morte, loin de là. Gène des organisateurs qui expliquent qu'ils

s'intéressent à l'histoire des sciences, pas à leur actualité.

Mais la discussion finale fut très courte à mon goût, à peine 20 minutes de questions/réponses.

A la sortie, une bizarre impression : ces journées étaient, d'un côté, très enrichissantes, loin des habituels posisionnements partisants/sceptiques, abordant leur sujet (principalement spiritisme et métapsychique) avec respect et sans a priori visible. D'un autre côté, on sentait le danger,
sous prétexte d'étudier une période de l'édification des sciences, de faire l'autopsie d'un cadavre : la parapsychologie alors appelée métapsychique, et qui n'aurait engendré aucuns héritiers à notre époque.

Mais il n'y avait pas de consensus entre les intervenants là-dessus, tous n'étaient pas sur la même longueur d'onde et n'avaient pas le même discours.

Notamment Nicole Edelman et Bertrand Méheust se sont opposés sur la notion de vrai et de faux en histoire des sciences : suite à la lecture par Méheust d'un texte d'époque narrant une séance de voyance somnambulique par Alexis Didier, Edelman a émis des doutes sur la vérité du récit, étant donné que ça c'est passé au siècle dernier et qu'on n'était pas là pour le
voir. Ce à quoi Méheust a répondu par la question suivante : Y a-t-il eu un débarquement en juin 1944 sur les plages de Normandie, on n'était pas là pour le voir, qu'est-ce qui nous prouve que ça s'est bien passé ?

Bensaude-Vincent a conclu en constatant que, de toute manière, la neutralité n'existe pas quand on aborde de tels sujets, et que donc la position d'observateur critique et impartial était intenable.

Il est prévu d'éditer les Actes de ce colloque sous forme de livre, mais aucune date n'a été précisée.
 


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