Précisons tout d'abord que cette journée et
demie était organisée par le "Centre de Recherche en histoire
des sciences et des techniques", basé à la Villette, en collaboration
avec le CNRS (leur logo est présent sur le fascicule de présentation).
Le tout fut mis en place par Bernadette Bensaude-Vincent, Centre d'histoire
et de philosophie des sciences, université Paris X-Nanterre, et Christine
Blondel, du Centre de Recherche en histoire des sciences et des techniques.
Leur approche est donc historique et epistémologique.
Le but de ce colloque n'était pas de défendre ou descendre la
métapsychique, mais de comprendre comment s'organise et se créée
la science à l'époque, acceptant certains phénomènes
d'étude (rayons X par exemple) et finissant par en rejeter d'autres (métapsychique).
Environ une cinquantaine de personnes présentes dans la salle de conférence,
qui avait une capacité d'environ 100 places.
9h45, Fr. Parot
Les idées scientifiques d'Alan Kardec
Cette chercheuse a montré en quoi Kardec s'inscrivait
dans une mouvance républicaine, progressiste, de gauche. Il a fondé
une "religion scientifique", positiviste presque, et ne se considérait
pas du tout comme un ésotériste. D'ailleurs il n'a pas lu les
classiques de ce type de
littérature. Aucune volonté chez lui de "cacher", de vénérer
les connaissances données par les esprits comme des secrets merveilleux,
bien au contraire il fallait évangéliser, et expliquer "scientifiquement"
la présence des esprits.
10h15, B. Méheust
Alexis Didier, le prince des somnanbules magnétiques
Alexis Didier fut le plus grand somnambule du XIXème,
et si l'on pose que ses performances étaient dues à des complicités
chez ses expérimentateurs, on atteint quelques centaines de comparses
en France et dans la haute société aristocratique anglaise. L'hypothèse
en devient encore plus coûteuse pour l'esprit que celle de la réalité
de ses dons... Méheust prévoit de publier, tels quels, tous les
textes d'époque qu'il a retrouvés sur Didier (environ 400 pages
!).
11h30, J. Carroy
Somnambulisme et affaire Dreyfus
Alors là, rien moins qu'étonnant : le rôle
de certains médiums spirites dans l'affaire Dreyfus. Dans quel camp ils
étaient : celui des dreyfusards ! (contrairement à ce qu'insinue
Zola dans son fameux "J'accuse"). L'auteur montre surtout que l'avis des voyants
de l'époque a eu une grande importance aux yeux des principaux Dreyfusards.
Le propre frère de Dreyfus y fut très sensible. Mais on a préféré
occulter cet aspect de l'affaire, qui ne cadrait pas vraiment avec l'image d'Epinal
de l'affaire Dreyfus : la gauche progressiste et positiviste contre l'obscurantisme
des réactionnaires de droite...
14h00, N. Edelman
Spirites et neurologues face à l'hypnose : une impossible rencontre (1870-1890)
Un parallèle entre les démonstrations publiques
des spirites pour faire de nouveaux convertis, et celles de Charcot à
la Salpêtrière pour montrer que l'hypnose est un état morbide
des histériques. Pour Charcot, on reçut ces "spectacles" comme
de la science alors qu'on prit les démonstrations des spirites pour du
simple spectacle parce qu'ils ne souscrivaient pas aux
régles d'alors pour en faire de la science, notamment : chez les spirites,
les dames avaient autant le droit que les messieurs de venir observer les phénomènes
puis d'en discuter, à une époque où médecins et
savants faisaient en sorte d'exclure la gente féminine du terrain scientifique
: on savait bien qu'elles n'étaient pas faites pour la recherche et pour
la réflexion... !
14h30, N. Marnin
La caution d'un Nobel : Charles Richet et l'IMI
Intervention fort critiquée, surtout par Méheust
et Lagrange, pour sa "soi-disante neutralité universitaire qui cache
mal un pamphlet pour assassiner l'IMI et Richet" (dixit Méheust).
Lagrange intervint pour suggérer que cette intervention était...
"complétement vide" ! En deux mots : le gars (très jeune, je ne
lui donne pas 30 ans) a montré que Richet était l'argument d'autorité
de l'IMI, qui permettait de "vendre" les recherches psychiques. En plus, le
mécène de l'IMI, Meyer, croyait aux esprits, donc l'argent
qu'il a fourni à l'Institut y croyait aussi...
Il est intéressant de noter que c'est cet intervenant "sceptique" qui
fut mis à mal et critiqué par les autres... Les temps changent
?
15h15, P. Le Maléfan
Richet chasseur de fantômes (villa Carmen)
Alors là, j'ai pas pigé : Richet a cru aux
fantomes à la villa Carmen, donc on peut se demander, sachant qu'il ne
faut pas être sain d'esprit pour essayer d'objectiver les fantomes, si
Richet était vraiment intelligent, et où commençait la
mythomanie chez lui... Réactions de Méheust et Lagrange encore,
et quelques autres. Visiblement l'auteur ne connaissait pas les
recherches de Warcollier là-dessus...
15h45, Ch. Blondel
Les instruments scientifiques face à la médiumnité d'Eusapia Palladino
Hyper intéressant : l'auteur passe en revue quelques une des plus célèbres séances avec Palladino, avec la conclusion qu'elle trichait parfois, mais qu'il restait un noyau d'observations qu'on n'a jamais pu expliquer par le trucage. A l'époque toutes ces expés avaient pour conclusion qu'il fallait continuer, recommencer encore, ce qui ne fut pas fait... Christine Blondel a avoué son "admiration pour Eusapia, la diva des savants à l'époque", dont elle est quasi-certaine qu'elle fut le siège de phénomènes inexpliqués.
Discussion en fin de journée, où quelques uns
(dont moi) ont insisté sur le fait que la parapsy existe aussi aujourd'hui
et n'est pas simplement un objet d'études historiques. Etonnement de
Le Maléfan : "mais ces recherches actuelles dont vous parlez n'ont rien
à voir avec celles des métapsychistes !?" Comme quoi, y'a encore
du boulot !
Vendredi
9h30, M. Peirsens
Récits et raisons, la littérature spirite
Pour ce conférencier, "le problème de la métapsychique,
c'est la littérature". Si j'ai bien compris son propos, assez difficile
à suivre parfois, il expliquait que si la métapsychique n'avait
pu devenir une science à part entière, c'était parce qu'une
partie de la littérature française abordait les phénomènes
étudiés, ce qui les faisait entrer dans un corpus d'imaginaire
et non de science. Et de citer quelques nouvelles de Balzac et autres, pour
finir sur Proust qui est le dernier à intégrer une composante
"métapsychique" dans son oeuvre.
Mais j'avoue que je n'ai pas compris en quoi le traitement littéraire
du sujet aurait empêché la science de s'en emparer... Est-ce que
Jules Verne ou la SF américaine des années 30-40 ont empêché
l'homme d'aller sur la Lune ?
10h00, D. Lapoujade
La parapsy au service de l'inconscient collectif
Intervention très intéressante, où l'auteur
a analysé l'importance de la métapsychique dans les oeuvres de
William James et de Henri Bergson dans leur conception de la conscience et de
la mémoire. Lapoujade a clairement expliqué au début qu'il
ne servait à rien de partir du postulat qu'il s'agissait de crédulité
ou de naïveté de leur part, ce qui n'apportait rien au débat.
10h45, B. Bensaude-Vincent
Des rayons contre raison (radiesthésie)
Cette dernière intervention fut sans doute la plus
informative parce qu'elle se basait sur un gros corpus : l'auteur a consulté
toute la littérature sur la radiésthésie qu'elle a pu retrouver,
afin d'analyser les polémiques entre "pro" et "anti" de l'époque.
Elle s'est surtout concentrée sur la radicalisation du débat à
partir de 1930 qui voit la création de l'Union Rationaliste. Sans être
tendre avec les expériences menées par les radiésthésistes
eux-mêmes ("accablantes") elle démonte point par point l'argumentaire
des rationalistes de l'époque. Notamment selon ces derniers, les radiésthésistes
ont une approche totalement irrationnelle : non, en fait ils pêchaient
même par excès de rationalité si l'on lit leur prose.
Dans la population radiésthésiste de l'époque, on trouve
surtout des militaires, des médecins, des ecclésiastiques et des
ingénieurs, ces derniers apportant une certaine techniticité aux
vérifications expérimentales.
Vers 1910, une revue catholique lance un grand concours auprès des radiésthésistes,
les volontaires doivent retrouver dans une maison un élément caché
par l'initiateur de l'expérience, un catho anti-radiésthésie.
Aussi bien radiésthésistes professionnels que simples curieux
peuvent participer... En tout 80 personnes participent à l'expérience,
dont les résultats seront catastrophiques pour les "pro" : leurs performances
sont exactement celles du hasard... A partir de là se créée
une Association Scientifique de la Radiésthésie qui sera encore
plus
critique envers les pratiquants du dimanche que les adversaires de la radiésthésie
eux-mêmes. Le débat s'embourbe dans les polémiques pro-anti,
et on le retrouve périodiquement tout au long du XXème siècle
(cf. Yves Rocard dans les années 60).
11h15, I. Stengers
Répondants et discussion
Stengers s'est décommandée au dernier moment,
à sa place Paul Caro, chimiste du CNRS, est venu faire un petit laïus
sur le rôle des drogues dans les hallucinations et le développement
de croyances irrationnelles, en soulignant qu'à l'époque l'usage
de drogues devait être plus répandu qu'aujourd'hui... En plus,
le cerveau peut lui-même produire certaines
drogues afin de s'autosuggestionner...
Bon, on aura vite compris l'attitude franchement sceptique (et l'ignorancedu
sujet) dont faisait preuve ce vieux monsieur un peu paumé.
Suite à son intervention un débat s'engage, on relativise franchement
ce qu'il vient de dire tout en restant poli, certains réaffirment qu'étudier
une période historique c'est bien mais que la métapsychique n'est
pas morte, loin de là. Gène des organisateurs qui expliquent qu'ils
s'intéressent à l'histoire des sciences, pas à leur actualité.
Mais la discussion finale fut très courte à mon goût, à
peine 20 minutes de questions/réponses.
A la sortie, une bizarre impression : ces journées
étaient, d'un côté, très enrichissantes, loin des
habituels posisionnements partisants/sceptiques, abordant leur sujet (principalement
spiritisme et métapsychique) avec respect et sans a priori visible. D'un
autre côté, on sentait le danger,
sous prétexte d'étudier une période de l'édification
des sciences, de faire l'autopsie d'un cadavre : la parapsychologie alors appelée
métapsychique, et qui n'aurait engendré aucuns héritiers
à notre époque.
Mais il n'y avait pas de consensus entre les intervenants là-dessus,
tous n'étaient pas sur la même longueur d'onde et n'avaient pas
le même discours.
Notamment Nicole Edelman et Bertrand Méheust se sont opposés sur
la notion de vrai et de faux en histoire des sciences : suite à la lecture
par Méheust d'un texte d'époque narrant une séance de voyance
somnambulique par Alexis Didier, Edelman a émis des doutes sur la vérité
du récit, étant donné que ça c'est passé
au siècle dernier et qu'on n'était pas là pour le
voir. Ce à quoi Méheust a répondu par la question suivante
: Y a-t-il eu un débarquement en juin 1944 sur les plages de Normandie,
on n'était pas là pour le voir, qu'est-ce qui nous prouve que
ça s'est bien passé ?
Bensaude-Vincent a conclu en constatant que, de toute manière, la neutralité n'existe pas quand on aborde de tels sujets, et que donc la position d'observateur critique et impartial était intenable.
Il est prévu d'éditer les Actes de ce colloque
sous forme de livre, mais aucune date n'a été précisée.