(version completée de l'article publié dans la revue Science Frontières, n°36)
Les
années de formation
L'épreuve
du feu
Bergier et
l'alchimie
Le Matin
des Magiciens et Planète
Bergier et
la SF
La fin du
réalisme fantastique
Les livres
post - réalisme fantastique
Un pamphlet
de Jacques Bergier : "Le mythe de la girafe".
Prétendre
décrire une personnalité aussi complexe, riche et
énigmatique que celle de Jacques Bergier en un article est une
entreprise bien hasardeuse. Il faut se faire une raison : dans la
présente étude, tous les aspects du personnage ne
seront pas évoqués. On a souvent rencontré son
nom au détour de livres sur les civilisations disparues, sur
la parapsychologie, sur l'alchimie, peut-être même dans
des anthologies de littérature de science-fiction. Mais on a
rarement lu ses livres, pour la bonne et simple raison qu'on les
trouve difficilement, et finalement le personnage, le mythe Bergier a
souvent pris le pas sur l'homme véritable...
C'est que Jacques
Bergier prête facilement à la caricature, ce qui fut
d'ailleurs concrétisé par le célèbre papa
de Tintin, le dessinateur Hergé, qui le croque sous les traits
du professeur Esdanitoff dans son album Vol 714 pour
Sydney.
Bergier joua d'ailleurs
toute sa vie durant sur cette image de personnage haut en couleurs,
d'original inclassable, de savanturier à la fois barbouze et
enfant, de remueur d'idées saugrenues et d'histoires
impossibles.
On cite toujours,
lorsqu'on veut cerner le personnage, le texte de ses cartes de visite
: « Jacques Bergier, amateur d'insolite et scribe des miracles
». Sur les miracles d'ailleurs, il n'hésitait pas
à dire : « Ce qui est vraiment miraculeux au sujet des
miracles, c'est qu'ils existent ». Il y a aussi un miracle chez
Bergier : son existence même !
Accent cassé,
haché, mécanique et certainement pas mélodieux,
démarche cahotique et branlante d'enfant maladroit, et visage
de professeur Tournesol déjanté, Bergier avait vraiment
toute la panoplie du personnage. Jusqu'à son passé de
résistant lié à divers réseaux de
renseignements, jusqu'à son hypermnésie : sa
mémoire fabuleuse qui lui permettait de lire et de retenir en
quelques minutes un livre entier, jusqu'à son amitié
avec un homme à mille lieux de lui ressembler, voire tout son
contraire : Louis Pauwels.
Les années de formation
Jacques Bergier
naît en 1912 à Odessa, il est le rejeton d'une famille
juive ayant déjà quelques personnages dans sa
lignée. Très tôt il développe une
faculté de lecture impressionnante, il lit n'importe
où, y compris dans les synagogues lors des
prières.
Mais en 1920, la famille
quitte le pays, car l'avenir semble sombre, rythmé par les
batailles entre Blancs, Rouges et Verts (anarchistes et paysans)...
Toute la famille part donc et finit par atterrir en Pologne, dans la
petite ville reculée de Krzemieniec. Bergier y reste jusqu'en
1925, il ne va pas à l'école mais continue à
lire de lui-même tout ce qui lui tombe sous la main, avec
déjà une préférence pour la
littérature de « science-fiction », en même
temps qu'un rabbin lui prodigue une éducation religieuse dont
il gardera surtout une fascination pour la Cabale, ses
mystères et ses légendes.
Mais des
problèmes financiers obligent la famille à
émigrer encore, et cette fois l'on se dirige vers la France,
où l'on retrouve des cousins éloignés à
Paris. Une chose le déçoit dès son
arrivée : le manque de livres et de bibliothèques ! En
quelques années, Bergier s'investit de plus en plus en
politique, il participe à des manifestations anarchistes et
s'enflamme pour le communisme. Il entre au lycée Saint-Louis
et se consacre aux mathématiques. C'est à cette
époque qu'il découvre les revues américaines de
science-fiction, qu'on trouve alors pour trois sous dans les bacs
d'occasion des librairies. Edgar Rice Burroughs, Abraham
Merritt et Jack London titillent son imagination, mais ce sont
surtout les contes gothiques, fantastiques et vertigineux d'Howard
Phillips Lovecraft qui le passionnent. En 1930 il s'inscrit à
l'École Supérieure de Chimie, en même temps
qu'à la Sorbonne afin de suivre des cours de
mathématiques. Il assure ses frais d'études en faisant
des traductions de l'anglais et de l'allemand au français, car
Bergier développe aussi un remarquable don pour les
langues.
Comme il le commente
lui-même dans son autobiographie Je ne suis pas une
légende : « Peu à peu, les bons livres
s'accumulaient dans mon placard, et les idées fantastiques
dans ma mémoire. » Et parmi celles-ci,
l'idée que l'énergie nucléaire serait un jour
maîtrisée par l'humanité. Et celle que
l'alchimie, cet art ancien considéré alors comme
l'ancêtre maladroit et encombré de mythes de la chimie,
pourrait en fait être bien plus que cela, une véritable
discipline à la fois scientifique et spirituelle, produisant
des résultats tangibles... Bergier rate finalement son
diplôme de l'Institut de Chimie mais obtient sa licence en
chimie et mathématiques de la Sorbonne.
En 1937 il entre dans
l'équipe du laboratoire de chimie physique du professeur
Helbronner, savant déjà connu pour ses travaux sur la
liquéfaction des gaz, qui lui valurent la médaille d'or
de l'Institut Franklin en 1922. Nourri par de longues discussions
avec l'irascible Helbronner, Bergier rêve alors de fonder un
empire industriel de l'atome, tout en construisant la journée
des appareils de laboratoire. Mais il n'oublie pas pour autant que du
côté de l'Allemagne, un nouvel homme politique au
discours violemment antisémite obtient de plus en plus de
suffrages...
L'épreuve du feu
Dès 1935,
Bergier s'investit dans la lutte antinazie, en distribuant par
exemple des tracs à la sortie des cinémas et des
théâtres, lors de voyages d'affaire en Allemagne, avec
le soutien du parti communiste allemand. Il ressent évidemment
la débâcle française de 1940 comme une grave
catastrophe, non seulement pour la civilisation, mais aussi et
surtout pour sa propre carrière personnelle : son
rêve d'empire financier basé sur l'exploitation de
l'atome s'envole irrémédiablement. Dépité
mais pas abattu, Bergier décide alors de rester en France pour
organiser une résistance. Il voyage à Lyon et à
Toulouse, imprime des tracts, prépare et réalise des
attentats à la bombe, brûle des archives de la Gestapo,
et diffuse même autour de lui un manuel de la guérilla.
Enfin, il devient l'un des dirigeants du réseau de
résistance Marco Polo, et finit par obtenir la localisation
exacte de la base de missiles de Pennemünde, qui sera
bombardée par l'armée alliée.
Mais en 1943 il est
finalement arrêté par la Gestapo à Lyon. Il ne
cède pas à la torture et ne donne aucun nom, on
l'envoie alors dans le camp de concentration de Neue Bremme, en
Sarre. Il y est placé dans la section « Retour
Indésirable ». Mais au grand étonnement de
ses tortionnaires et des autres prisonniers, il va survivre aux pires
épreuves. Plusieurs fois on le considère comme mort,
mais il finit toujours pas sortir du coma. Il résiste
notamment à une atroce torture : avec quelques autres
prisonniers, on le couche dans la neige, totalement nu, pendant
plusieurs heures. Bergier explique qu'il put supporter cette
épreuve en se réfugiant dans le monde abstrait des
formules mathématiques, effaçant toute autre
réalité sur le moment... De même,
lorsqu'après seulement 4h de sommeil les gardes sonnent le
réveil, Bergier se réfugie mentalement dans le
passé pour y récupérer en quelques secondes ses
indispensables heures de repos...
En 1944, ce prisonnier
récalcitrant qui ne veut décidément pas mourir
est transféré au camp de Mauthausen. Une fois
installé, il participe à une sorte de résistance
interne dont il prend rapidement la tête, aidé de deux
autres déportés, le communiste Allemand Franz Dehlem et
Gregory Fedorov, futur successeur de Béria en Union
Soviétique après la guerre. Le camp de Mauthausen tombe
en mai 1945, en grande partie grâce aux préparatifs de
ce groupe de résistance.
Après guerre,
Bergier devient un conseiller incontournable du gouvernement et
traîne du côté des services secrets. Poursuite de
criminels de guerre, espionnage et contre-espionnage, recherche de
secrets militaires constituent alors son quotidien...
Bergier et l'alchimie
C'est en 1938 que
Jacques Bergier s'intéresse pour la première fois
à l'alchimie. C'est Helbronner lui-même qui lui en parle
et l'emmène rencontrer un employé d'une usine de gaz de
la banlieue parisienne : rien moins que le célèbre
alchimiste Fulcanelli, auteur des deux livres Le mystère des
cathédrales et Les demeures philosophales. Au cours de la
discussion, si l'on en croit Bergier, Fulcanelli disserte sur les
grands dangers auxquels peut aboutir la recherche atomique. Si
l'homme maîtrise l'énergie nucléaire, c'est toute
la civilisation qui est menacée d'autodestruction. Cette
fameuse discussion est racontée dans Le Matin des
Magiciens.
Après guerre,
Bergier va lui-même tenter des expériences alchimiques,
et prétend avoir pu synthétiser de l'argent et de l'or
en petites quantités, mais aussi du béryllium. Le
béryllium est l'élément principal de
l'émeraude, et Bergier relève (dans son autobiographie)
que le texte principal de l'art alchimique n'est autre que... La
Table d'Émeraude, du mythique Hermes
Trismégiste.
Après la
succès du Matin des Magiciens, Bergier entre en contact avec
un alchimiste allemand qui lui fournit quelques onces de
« poudre de projection ». D'après quelques
papiers personnels de Bergier datant de cette époque, la
poudre en question fonctionnait parfaitement. Peut-être est-ce
le même alchimiste allemand qui signe plus tard le livre
L'alchimie, science et sagesse, aux éditions Planète,
sous le nom de Titus Burckhardt.
Le Matin des Magiciens et Planète
C'est au milieu des
années 50 que Bergier rencontre Louis Pauwels. René
Alleau les présente l'un à l'autre. Pauwels cherchait
un homme de science capable de l'aider pour la rédaction de
certains articles. Les deux hommes n'ont réellement rien en
commun. Pauwels est un intellectuel, un littéraire qui a connu
une période guénonienne, c'est-à-dire
antiprogressiste, alors que Bergier ne jure que par la méthode
scientifique, méprisant tout autre attitude face au monde.
Mais malgré ces différences une grande amitié
naît tout de suite entre eux, au point qu'ils consacrent les
cinq années suivantes à la rédaction d'un
énorme et inclassable livre, Le Matin des Magiciens, sorti
chez Gallimard en 1960.
Le Matin des Magiciens
marque un véritable tournant dans la vie de Bergier. Il
devient soudain très célèbre.
Pas question de
résumer ici en quelques lignes ce pavé baroque et
érudit qu'est Le Matin des Magiciens, disons simplement que
les auteurs y abordent en profondeur des sujets aussi
différents que la parapsychologie, les civilisations
disparues, les racines occultes du nazisme et l'obscurantisme
scientiste du XIXème siècle, dont ils regrettent qu'il
n'ait pas disparu avec son siècle.
Quelle est la part de
Bergier dans ce livre fameux, qui a connu jusqu'à aujourd'hui
une dizaine de rééditions en France ? Si l'on en
croit Bergier lui-même, le travail s'organisait selon un rituel
bien établi : le soir, les deux amis se
réunissaient et discutaient ensemble. Bergier racontait
à Pauwels les plus fantastiques histoires et anecdotes,
tirées de ses dossiers personnels. Le lendemain matin, Pauwels
rédigeait le manuscrit en se basant sur la soirée
passée.
C'est dans ce livre que
Bergier rapporte son entrevue avec le mystérieux Fulcanelli en
1938. Dans un autre chapitre, il décrit la fameuse
expérience de télépathie réalisée
par l'armée américaine dans les années 50
à bord du sous-marin Nautilus. En février 1960, avant
que le livre ne soit sorti, la revue Science & Vie avait
déjà publié un article relatant la même
prétendue expérience, sous la plume de Gérard
Messadié. On considère aujourd'hui cette rumeur comme
totalement infondée, car aucun document officiel
américain déclassifié n'en a jamais fait
état.
Voilà un des
aspects les plus discutables et les plus géniaux de
Bergier : citer des faits extraordinaires, en refusant toujours
de divulguer ses sources, pour raisons de
sécurité.
A la suite de ce
livre-événement, Pauwels et Bergier, aidés
principalement du maquettiste Pierre Chapelot et de Jacques Mousseau,
lancent la revue Planète. Il s'agit principalement de combler
l'attente des centaines de milliers de lecteurs du livre. Très
vite et contre toute attente, la revue obtient un véritable
succès, et devient rapidement un phénomène de
société. Bergier l'alimente principalement en articles
sur les recherches parapsychologiques en URSS et aux USA, ainsi que
d'études sur « l'histoire invisible »,
c'est-à-dire sur les agissements et opérations plus ou
moins secrètes de services gouvernementaux.
Bergier et la SF
Jacques Bergier s'est
très tôt intéressé à la
littérature de science-fiction. Au début des
années 30 il découvre les « pulps »
américains, que l'on achète alors en occasion à
Paris chez Gibert-Joseph. Il devient vite un fan de Howard Philips
Lovecraft (1890-1937), et ne tarde pas à entretenir une
correspondance avec « le solitaire de
Providence ». Successivement paraissent dans la revue Weird
Tales deux lettres de Bergier, « From a French
reader » en mars 1936, et « From a French
enthousiast » en septembre 1937.
En 1955 Bergier signe la
préface à la traduction française du recueil
Démons et merveilles, aux Éditions des Deux Rives.
C'est ce même texte quelque peu remanié et
développé qui paraît dans le premier
numéro de la revue du réalisme fantastique,
Planète, en 1961, sous le titre : « Lovecraft,
ce grand génie venu d'ailleurs ».
La science-fiction n'est
pas seulement un loisir pour Bergier, il y voit toute une
manière de penser et de comprendre le monde. Pour Bergier la
SF, plus qu'une suite de visions rêveuses, est une
préfiguration de ce qui attend l'humanité. On peut se
rendre compte de l'importance qu'il donne à ce genre
littéraire en citant l'extrait d'une courte lettre
adressée aux frères Bogdanoff en septembre
1975 :
« La SF est le
contraire de la littérature. La littérature est faite
par des ratés pour des ratés. La SF par contre
décrit la victoire. Victoire sur le temps, sur l'espace, sur
l'hostilité de l'univers, victoire acquise grâce
à la technique. »
La fin du réalisme fantastique
L'aventure du
réalisme fantastique s'achève au début des
années 70. Les événements de mai 68 ont
profondément divisé la rédaction,
c'est-à-dire principalement Pauwels, Bergier, Pierre Chapelot,
Jacques Mousseau, Gabriel Veraldi, Aimé Michel... Un Nouveau
Planète, lancé fin 1968, tiendra 25 numéros sans
jamais atteindre le succès du premier Planète. Bergier
quitte rapidement la direction de ce Nouveau Planète car il
n'apprécie pas la nouvelle politique
éditoriale.
En 1970 tout de
même, il publie avec Louis Pauwels L'homme éternel,
premier tome d'une série de cinq volumes d'un
« Manuel d'Embellissement de la Vie ». Bergier
attend beaucoup de ce livre, conçu comme un nouveau Matin des
Magiciens mieux référencé et plus rigoureux,
focalisé sur le thème de l'archéologie
mystérieuse et des civilisations disparues.
Malheureusement le livre
n'a pas le succès qu'espérait Bergier. Pauwels
abandonne tout simplement le projet au grand dam de son ami,
incapable d'entamer les 4 autres volumes sans l'aide de son
partenaire...
La brouille entre les
deux créateurs du réalisme fantastique ne cesse plus de
grandir, au point qu'ils n'entretiennent pratiquement plus de
relations à la mort de Bergier en 1978.
Les livres post - réalisme fantastique
Après la fin
du mouvement réaliste fantastique et l'abandon par Pauwels du
Manuel d'Embellissement de la Vie, Bergier va écrire ses
propres livres de style réaliste fantastique. Il se persuade
que la formule d'un petit livre par thème est bien plus
intéressante en fin de compte que le gros essai
encyclopédique à la manière du Matin des
Magiciens. D'autant plus que Bergier est bien conscient de ne pas
avoir le talent littéraire de Pauwels.
Vont donc paraître
successivement une petite dizaine de livres dont les titres sont
aussi maladroits que les contenus sont
intéressants...
Les extraterrestres dans l'histoire, 1970
Bergier y passe en
revue plusieurs événements et histoires bien
étranges, mais sans jamais cependant affirmer clairement qu'il
puisse s'agir de preuves de l'existence d'extraterrestres. Il le
suggère souvent, mais simplement comme une hypothèse
bien séduisante...
Un chapitre est
consacré aux traces d'objets métalliques
retrouvés lors de fouilles et pouvant indiquer l'existence de
civilisations disparues ayant possédé une haute
technologie, un autre est consacré à la plaine de Nazca
et aux ruines incas, un autre aux cartes de Piri Reis... L'un des
chapitres les plus intéressants est certainement
« les visiteurs du Moyen-Âge », où
Bergier étudie les témoignages d'apparitions
« d'êtres lumineux » entre l'an 1000 et le
début du XVIème siècle, en se basant sur les
textes de Facius Cardan et John Dee par exemple. Bergier y retrace
aussi l'histoire du fameux manuscrit codé
indéchiffrable de Roger Bacon, ou « Manuscrit
Voynich » (du nom de son dernier
acquéreur)...
Les livres maudits, 1971
Certainement l'un des
livres les plus passionnants de Bergier. Il y développe
l'idée d'un groupement secret, qu'il appelle « les
Hommes en Noir », dont la tâche serait de faire
disparaître tout livre traitant de choses dont
l'humanité ne devrait pas être avertie. En fait, cette
hasardeuse hypothèse est un beau prétexte pour passer
en revue toute une littérature
« aberrante », dont on a du mal à savoir
si Bergier la prend vraiment au sérieux, ou comme simple objet
de fascination.
Ainsi sont
étudiés successivement la légende du livre de
Thot, les ouvrages brûlés dans la Bibliothèque
d'Alexandrie, les improbables Stances de Dzian, la
Stéganographie de l'abbé Trithème, la Monade
hiéroglyphique de John Dee, le manuscrit Voynich (dont
l'histoire se développe cette fois pendant tout un chapitre),
le manuscrit Matthers (et donc l'histoire de la fameuse Golden Dawn),
le mystérieux Excalibur, dernier livre qu'aurait écrit
Ron Hubbard et qui ne fut jamais publié (à cette
occasion, Bergier est un des premiers à s'inquiéter de
la montée en puissance de la Scientologie), l'histoire du
professeur Russe Filippov retrouvé mort dans son laboratoire
en 1903 alors qu'il travaillait sur son dernier livre La
révolution par la science ou la fin des guerres. Enfin,
Bergier retrace l'histoire d'un ouvrage qui n'a rien de maudit, La
double hélice, par le professeur Watson : bien que ce
soit aujourd'hui un classique, ce livre fut abondamment
décrié à sa sortie, et victime d'une sorte de
censure de fait, tout simplement parce qu'il était trop
révolutionnaire pour une partie de la communauté
scientifique de l'époque.
L'intérêt
de ce livre se trouve autant dans les ouvrages étudiés,
que dans le portrait de personnages hauts en couleurs tels
Héléna P. Blavatsky, John Dee ou Samuel
Mathers.
Le livre de l'inexplicable, 1972
Cette fois Jacques
Bergier a travaillé en collaboration avec le groupe
américain INFO (INFormations FOrtéennes). Le livre de
l'inexplicable est une forme d'hommage et de continuation du travail
de l'infatigable Charles Hoy Fort, un des maîtres de Bergier,
auteur entre autres du fameux Livre des Damnés (1921). On ne
trouve qu'une fois la signature de Bergier parmi toutes les
études que contient cette petite encyclopédie de
l'étrange, outre les préfaces aux articles. Sous le
titre « le miracle de Robozer », Bergier retrace
un événement s'étant déroulé en
1663 dans la région de Moscou, et dont les archives d'un
monastère orthodoxe ont gardé la mémoire.
À lire la description du phénomène, deux boules
de lumière ayant « incendié » un
lac pendant plusieurs minutes pour finir par disparaître,
laissant derrière elles des poissons morts et une couche
rougeâtre sur la surface, on ne peut s'empêcher de penser
aux histoires modernes d'OVNI plongeant ou sortant des lacs,
malgré la mise en garde humoristique de Bergier :
« On est prié de ne pas me dire, sous peine de
châtiments corporels, que c'est une soucoupe volante qui s'est
écrasée à Robozer. »
Même si Le livre
de l'inexplicable est de plutôt bonne facture, force est de
constater que Bergier a surtout servi de caution. Le livre est
signé de son nom alors qu'il n'a fait sans doute que
rassembler et sélectionner les articles des membres du groupe
INFO, et rajouter quelques textes pour faire bonne figure. Les
articles en question vont d'ailleurs du bon au moins bon. Notons
surtout pour tous les amateurs d'OVNI l'article
« Étranges lumières dans les colonies
américaines de S. M. Britannique au XVIIème
siècle », « La clinique lapidée
d'Arcachon » pour les amateurs de parapsychologie, et enfin
« Le presbytère hanté de Borley »
pour se rendre compte que Bergier n'était pas un
naïf.
Les dernières
lignes du livre donnent une idée de l'état d'esprit qui
présida à sa rédaction :
« Si la
négation systématique est aussi nocive pour la
recherche que la crédulité la plus naïve, le doute
et la méfiance s'imposent. Il faut toujours se méfier,
il faut toujours contrôler. 99 cas sur 100 s'effondreront, mais
le centième devra être retenu et pourra être
utilisé. »
Les maîtres
secrets du temps, 1974
Encore un titre bien
vendeur, pour un livre qui est surtout une collection de portraits de
personnages historiques rendus fabuleux par le talent de conteur de
Bergier. À la base de ce livre, il y a, encore, une
hypothèse hasardeuse qu'on ne doit considérer que comme
un prétexte, et non comme une affirmation péremptoire.
En bref, des personnages qui semblent venir du futur ont vécu
dans les siècles passés, et avaient une avance
extraordinaire pour leur époque. On peut déjà
trouver la même idée dans Le Matin des
Magiciens.
Une fois cette hypothèse
posée (n'oublions pas que Bergier est toujours resté un grand
admirateur de Lovecraft), on découvre une galerie de personnages passionnants
et énigmatiques. Entre autres le légendaire Fo-Hi, empereur immortel
de l'Empire du Milieu, le magicien du XIIIème siècle Michael Scot
(qui prétendait notamment qu'il était possible d'en savoir plus
sur les motivations des hommes grâce à l'étude de leurs
rêves), Leonard de Vinci (et ses manuscrits écrits à l'envers),
l'étonnant visionnaire Roger Boscovich et enfin l'excentrique savant
Oliver Heaviside et ses « mathématiques symboliques ».
Visa pour une autre terre, 1974
Le sommaire de ce
volume laisse rêveur quant aux capacités imaginatives de
Bergier : « villes inconnues, continents invisibles,
les immortels parmi nous... ». Mais malgré ces
accroches, il y est surtout question de « portes
induites » menant vers d'autres mondes, puis de l'existence
supposée ou avérée de sociétés
secrètes, et de leurs buts au sein de
l'humanité.
Mais tout le livre est
surtout un vaste et passionnant exercice d'imagination.
Sur la description de
possibles « autres univers », on peut citer ce
passage, qui rappellera certainement des souvenirs aux lecteurs de
l'astrophysicien Jean-Pierre Petit :
« Les enclaves
de l'inconnu influencent notre vie. Par leur intermédiaire,
nous pouvons influencer d'autres univers et ces univers autres
peuvent nous influencer. Le mécanisme est assez semblable
à ce qui se passe dans le jeu d'échecs pour un fou
pouvant simplement parcourir des cases blanches et un fou adverse ne
pouvant parcourir que des cases noires. Ils ne peuvent pas
s'influencer directement : c'est exactement la situation de deux
univers différents. »
Un autre passage de ce
livre mérite d'être cité, car Bergier y
précise sa manière d'envisager son
sujet :
« Comme toutes
les idées contenues dans ce livre, je présente
(l'idée selon laquelle la Terre puisse être une surface
topologique) comme un jeu de l'esprit, une façon d'aller
au-delà des frontières ordinaires de notre imagination
et de s'élargir les idées. »
C'est certainement cette
même démarche qui présida à la
rédaction des autres livres de cette période
post-réalisme fantastique, comme on peut aisément s'en
rendre compte à leur lecture.
Enfin, on ne peut passer
outre la géniale définition que donne Bergier de
l'inconnu, dans une introduction titrée « Le pudding
magique » :
« Au risque de
choquer les philosophes, je dirais que l'image du monde est celle
d'un pudding contenant des fruits confits. Dans la grande masse du
connu apparaissent soudain des fragments de l'inconnu qui sont
impossibles à déloger et qui sont très
différents de la structure générale de
l'univers. »
La guerre secrète de l'occulte, 1978
Bergier aborde ici le sujet des pouvoirs supposés de l'esprit humain, voyance, télépathie et télékinésie principalement. Mais il ne se contente pas de passer en revue ces « pouvoirs », et consacre surtout beaucoup de chapitres à la manière dont divers gouvernements ont pu s'intéresser, voire utiliser, ces facultés. Bergier ne cessa jamais d'entretenir des relations amicales avec d'anciens de divers services de renseignements ainsi qu'avec des « barbouzes », en France, en URSS et ailleurs. D'où quelques sources d'information bien intéressantes sur ce genre de sujet. Et Bergier reste lucide, malgré son penchant pour les hypothèses fantastiques. Ainsi quelques chapitres sont consacrés aux manipulations de population à l'aide d'éléments « occultes », par exemple le Yi King en Chine (utilisé pour faire la propagande d'adversaires de Mao qui firent circuler la rumeur selon laquelle le Yi King avait annoncé sa chute prochaine), ou l'existence de vampires aux Philippines (rumeur lancée pour maquiller des crimes, sans doute gouvernementaux...). Un chapitre « L'occulte au Pentagone et à la NASA » mérite le détour. Bergier y explique comment on y utilise le « mythe de la soucoupe volante » à des fins d'espionnage ou de contrôle de l'opinion publique. Il faut noter que Bergier resta toute sa vie convaincu que les OVNI n'existaient pas, sans doute parce qu'il considérait que si des extraterrestres avaient croisé notre route (ce qu'il n'était pas loin de penser), ils ne l'auraient pas fait dans de vulgaires casseroles volantes, mais par des moyens bien plus subtils (voir sur le sujet Blumroch l'Admirable ou le déjeuner du surhomme, de Louis Pauwels).
Le livre du mystère, 1978
Sur le même
principe que pour Le livre de l'inexplicable, Bergier, cette fois
aidé de son ami Georges H. Gallet, prête son nom
à une compilation d'articles tirés du magazine italien
Giornale dei Misteri. Malheureusement, si Le livre de l'inexplicable
était réalisé avec rigueur et sérieux, on
ne peut pas en dire autant pour ce volume... Le Giornale dei Misteri
était une sorte d'Ici Paris de l'étrange, colportant
toutes les rumeurs les plus délirantes, sans trop de soucier
de vérifier ses sources. Bergier est bien conscient de cette
triste réalité, comme il le laisse clairement entendre
dans la préface, où il compare les approches du groupe
INFO et du Giornale dei Misteri :
« On doit bien
convenir, sans vouloir blesser le moins du monde nos amis italiens,
que la psychologie latine est différente sinon opposée
à la psychologie anglo-saxonne. Autant les Américains
(...) sont, dans l'ensemble, sceptiques dans leur pragmatisme, autant
les Italiens (...) ont tendance, de par leur tempérament
chaleureux, à admettre davantage. »
Au final, Le livre du
mystère reste une belle compilation d'histoires fabuleuses et
de théories improbables, laissant peu de place à des
enquêtes plus sérieuses. Tout ce qui porte la marque de
l'Ange du Bizarre y est catalogué : monstre du Loch Ness,
Yétis, hommes volants, ruines mystérieuses,
disparitions inexplicables, momifications étranges,
lycantropie... Toute une partie de l'ouvrage est même
consacré aux OVNI, de l'affaire des Masques de Plomb aux
lettres Ummites, en passant par le Livre d'Enoch et les bizarreries
observées lors des missions lunaires américaines !
Un comble lorsqu'on sait que Bergier ne portait aucun crédit
à ce dossier...
L'homme Jacques Bergier
Deux livres permettent de mieux cerner l'individu Bergier. Tout d'abord l'hommage que lui rend son ami Louis Pauwels dans Blumroch l'admirable ou le déjeuner du surhomme, puis sa propre autobiographie, Je ne suis pas une légende.
Blumroch l'admirable ou le déjeuner du surhomme, 1976
D'après
Gabriel Veraldi, biographe de Louis Pauwels, ce livre est
« un monument d'amitié ». Pauwels y dresse
le portrait cocasse, fabuleux et tendre de son ami Bergier. Sur le
principe de la discussion philosophique (à l'instar du Neveu
de Rameau de Diderot), on assiste au « déjeuner du
surhomme » Joseph Blumroch, c'est-à-dire Bergier
lui-même, questionné par Pauwels. Beaucoup de sujets
sont abordés, avec une prédominance du thème de
l'homme futur, le « mutant », sujet cher à
Bergier. Mais ce livre vaut aussi par la description physique et
psychologique de Bergier. Son humour ainsi que ses facultés
imaginatives y sont admirablement soulignés, et même si
les traits sont sans doute un peu exagérés, le portrait
reste dans l'ensemble très fidèle.
Joseph Blumroch n'est
pas tout à fait Jacques Bergier, mais correspond tout à
fait en tout cas à l'image qu'il s'était construit de
« scribe des miracles » aux histoires incroyables
et aux théories vertigineuses.
Je ne suis pas une légende, 1977
Toujours
d'après Gabriel Veraldi, cette autobiographie de Jacques
Bergier mélange « de façon déroutante
pour les lecteurs et pénible pour ses amis, la
vérité et la fabulation, la sagacité et le
délire ».
Reste tout de même
une collection d'anecdotes et de souvenirs passionnants pour tout
lecteur, en particulier les chapitres consacrés à ses
années de résistance puis de prisonnier en camp de
concentration. On mesure alors à quel point Bergier pouvait
utiliser l'humour comme une arme, lorsqu'il évoque notamment
la survie à Mathausen. Un chapitre consacré à
« La Très Sainte Alchimie » est à
conseiller à tous les amateurs de cette discipline, et le
chapitre « La lèpre, c'est très
publique » est un véritable festival de l'humour
Bergier.
Il faut noter enfin
qu'un 19ème chapitre était prévu,
consacré aux années Planète. Mais, certainement
sous la pression de son entourage, Bergier décida finalement
de supprimer cette partie, qui paraît-il était plus
qu'outrageante pour les animateurs et les lecteurs de la revue du
réalisme fantastique. C'est sans doute à cela que fait
allusion Veraldi (compagnon de Pauwels et Bergier lors de l'aventure
Planète) lorsqu'il parle de « fabulation »
et de « délire »...
Voici un texte
écrit par Jacques Bergier en 1965 et intitulé
« La girafe n'existe pas ». Il s'agit d'une
réponse humoristique au livre de l'Union Rationaliste Le
Crépuscule des Magiciens, qui attaquait violemment le
réalisme fantastique, sa revue Planète et ses
principaux acteurs. Contre les attaques souvent très
agressives (et débordant largement du cadre strictement
scientifique) du livre de l'Union Rationaliste, la rédaction
de Planète décida de répondre d'abord par
l'humour, et c'est ce qui fut fait dans le n°23 de la revue. On
trouve donc entre autres textes (dont une étude de Pauwels
démontrant que le cinéma n'est qu'un mythe
socio-culturel et n'a aucune existence réelle) cette
étude de Jacques Bergier.
La science contre les mythes
Pour un esprit bien
rompu aux méthodes scientifiques modernes, la vraie
démonstration de la non-existence de la girafe réside
dans le fait que la girafe n'existe pas. Ce genre de raisonnement est
appelé « la méthode de Lavoisier »
: on sait que le fondateur de la chimie avait démontré
de cette façon l'inexistence des météorites en
déclarant « qu'il ne peut pas tomber des pierres du
ciel, parce qu'il n'y a pas de pierres dans le
ciel ».
Dans les temps modernes,
cette méthode a été brillamment employée
par M. Simon Newcomb qui démontra que les avions ne peuvent
pas voler parce qu'un aéronef plus lourd que l'air est
impossible et M. Imbert Nergal, qui démontra que les
phénomènes parapsychologiques n'existent pas parce
qu'il n'y a pas de phénomènes parapsychologiques.
D'autres savants ont exercé la même besogne de
salubrité, ce qui fait qu'un Américain appelé
Charles Fort a pu faire tout un volume, intitulé
« Le livre des Damnés », consacré
aux faits ainsi expulsés à juste titre du corps de la
Science.
Parmi ces faits damnés, la légende de l'animal appelé « girafe » est particulièrement frappante.
Le voyageur arabe Al
Kwraismi a, pour la première fois, décrit cette
bête mythologique au cou extrêmement allongé.
Depuis, de nombreux voyageurs ont prétendu avoir vu ou
même photographié des girafes. Et la revue
Planète n'a pas hésité, pour abuser ses lecteurs
trop confiants, à accréditer ce mythe pernicieux, en
dépit des mises en garde du grand savant André
Parinaud.
Il est donc
intéressant d'examiner comment une telle légende peut
avoir pris naissance. Plusieurs explications sont possibles
:
1 - L'explication optique :
On sait que les déserts, où l'on a signalé des girafes, sont également les lieux de nombreux mirages. Ces mirages sont dus au phénomène d'inversion. Ce phénomène consiste en ceci : pour des raisons bien connues des météorologistes, il arrive qu'une couche d'aire froid se trouve superposée à une couche d'air chaud qui aurait dû se trouver au dessus de la couche d'air froid. La différence de densité des deux couches d'air produit alors une courbure des rayons de lumière et un mirage. Un objet est alors vu à un endroit où il n'est pas, ou sous une forme modifiée. Très fréquemment l'inversion fait apparaître un objet sous une forme allongée comme les miroirs déformants des foires. Il est donc parfaitement admissible qu'un animal tout à fait ordinaire et bien connu, une licorne par exemple, puisse apparaître à l'explorateur sous une forme invraisemblable et allongée et donner ainsi naissance à la légende de la girafe.
2 - L'explication par la soif :
Le mirage qui a donné naissance à la girafe peut également être d'une origine purement psychologique. Perdu dans le désert et assoiffé, l'explorateur peut, dans un état de semi-conscience, rêver qu'il a un cou extrêmement long lui permettant d'atteindre l'oasis la plus proche. Quoi de plus naturel que de le voir aussi imaginer un animal impossible qui a justement le cou d'une longueur invraisemblable ?
3 - L'explication psychanalytique :
Un psychanalyste allemand éminent, Herr Professor Hegebur, dans son ouvrage « Prolégomènes à l'introduction d'une approche de la connaissance de la girafe », fait observer très justement que le long cou de la girafe n'est autre qu'un symbole phallique. C'est là également une explication plausible du mythe de la girafe. On sait que c'est de la même façon qu'on a réfuté la naïve superstition de certains sauvages selon laquelle le suc du champignon penicillium notatum pouvait avoir une action curative sur les maladies. Ce champignon est de toute évidence un symbole phallique. L'existence d'un produit extrait du penicillium notatum appelé « pénicilline » et auquel on attribue des vertus curatives merveilleuses est, bien entendu, pure superstition.
Nous voyons ainsi que
le mythe de la girafe peut parfaitement trouver son explication dans
des considérations soit optiques, soit de physiologie, soit de
psychanalyse.
La méthode
scientifique moderne n'aura pas de difficultés à
démentir aussi les autres affirmations saugrenues
d'excentriques dans le genre de Charles Fort.
Il est bien connu qu'il ne peut pas y avoir de faits qui n'aient été déjà décrits dans les nombreux et excellents ouvrages publiés par l'Union Rationaliste (16, rue de l'école Polytechnique). Tout fait non décrit dans ces ouvrages (apparitions dans le ciel, signaux mystérieux reçus par radio des espaces interstellaires, cancers des pare-brise, chutes de pierre) peut certainement être réduit à des illusions ou à des hallucinations collectives.
Signalons, pour terminer, un fait curieux qui montre à quel point la sagesse populaire rejoint la méthode scientifique. Un fermier américain à qui on avait montré un dessin représentant la prétendue girafe s'est écrié : « Il n'y a pas d'animal comme ça ! » N'est-ce point merveilleux de voir à quel point le gros bon sens populaire rejoint ainsi la rigueur de la méthode scientifique ?
Professeurs
Pigafret et Galignol