Le métier de chercheur, regard d'un anthropologue

Bruno Latour

INRA éditions, coll. "Sciences en questions",

1997, 95 pages, 39 francs, ISBN : 2-7380-0646-9

 

Il s'agit du texte d'une conférence qu'avait donné ce sociologue de l'Ecole des Mines devant des scientifiques de l'INRA à l'occasion d'un colloque.

Le style est très clair et facile d'accès, pas de lourde réthorique pompeuse, il va droit au but, qui consiste en une introduction à l'étude sociologique des sciences.

Latour pose une distinction entre deux entités : la Science et la Recherche.

Il ne s'agirait pas de la même chose. La science est issue de la recherche, mais la recherche n'est pas le produit de la science. La science c'est ce qu'on lit dans les manuels scolaires, la recherche c'est la science en train de se faire. Il donne un tableau des differences fondamentales de l'une et de l'autre :

LA SCIENCE : - sûre - objective - froide - sans lien avec la politique, la société, - sans autre histoire que la réctification des erreurs, - limitée aux faits, sans avis sur les valeurs, - Nature et science sont confondues, - transmise et enseignée par diffusion, - le "fait" est ce qui n'est pas discuté ("c'est un fait")

LA RECHERCHE : - incertaine, risquée, - "sub-objective", - chaude, - liaisons nombreuses avec la politique et la société, - histoire et sociologie des sciences, - évaluations des faits comme étant des valeurs (ça vaut le coût de s'intéresser à tel domaine plus qu'à tel autre), - la nature distincte de sa médiation par la science, - transmise par négotiation et transformation, - le "fait" est ce qui est construit (ce qui est en train de se faire, ce que l'on "fait")

Pour illustrer l'implication de la recherche et du politique, Latour cite ensuite une lettre que Pasteur avait adressé au Ministre de l'Instruction Publique en 1864, dans laquelle il tente de persuader le Ministre qu'en lui donnant 2500 F. pour étudier le processus de fermentation du vin, la balance commerciale Angleterre/France serait rééquilibrée et la santé de l'économie nationale sauvée ! Le plus fort, c'est qu'à la fin de sa lettre, Pasteur avoue qu'en fait il demande cet argent pour la Connaissance uniquement, et qu'il ne faut pas s'attendre à des retombées pratiques avant de très nombreuses années... durant lesquelles il faudra évidemment continuer à financer ses recherches !

Latour n'hésite pas (et devant un parterre de scientifiques !) à pousser très loin l'analogie entre le Capitalisme économique et le "capitalisme scientifique" : un chercheur doit faire attention à son crédit, à sa renommée et à ses crédits. Il doit utiliser une stratégie pour rester dans la course, pour faire face à la concurrence de ses "chers collègues", et il vaut mieux pour lui être le premier à publier de nouvelles données. S'il est le deuxième, même à peine quinze jours après qu'un autre ait publié, alors tout son travail n'aura servi à rien.

Latour casse méticuleusement le mythe du Scientifique intouchable et intouché, n'entretenant aucun lien avec le reste de la société humaine dans laquelle il évolue, épuré de toute motivation autre que strictement scientifique. Au contraire, le chercheur doit créer un réseau de collègues, d'appuis financiers et idéologiques, doit construire les structures qui serviront à l'établissement de sa recherche, etc.

Un texte "décapant", comme l'annonce la quatrième de couverture.

 

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